1. Objectif
Déployer une solution mobile, modulaire et low-tech de capteurs environnementaux sur des bus et trams pour cartographier à intervalle régulier la qualité de l'air, le bruit et les îlots de chaleur à l'échelle du Grand Genève. Le projet s’inscrit dans une perspective de santé publique et d’adaptation climatique. Il pourrait accompagner la création d’un Observatoire Santé et Mobilité sur le territoire genevois, en partenariat avec la Fondation MODUS ou constituer un projet Innosuisse ; et s’inscrit dans les plans stratégiques cantonaux.
2. Contexte
Les enjeux de santé environnementale et de confort deviennent critiques dans les espaces urbanisés densément peuplés et saturés. Les formes urbaines et l’utilisation des sols ont un impact direct sur les microclimats urbains (Santamouris, 2013).
Les îlots de chaleur urbains (ICU), la pollution atmosphérique et les nuisances sonores ont des effets avérés sur la santé publique ainsi que sur la faune et la flore urbaine. À Genève, ces phénomènes sont documentés ponctuellement par des stations fixes (nous le verrons à la Figure 4), mais la couverture spatiale et temporelle reste généralement insuffisante pour guider efficacement les politiques publiques, pour cibler les interventions et pour mesurer effectivement les expériences vécues des piétons, cyclistes et utilisateur·ices des transports publics.
En 2016 a été lancé le projet A3dB visant un diagnostic fin du bruit sur la commune de Carouge. Plus de 1000 capteurs sonores ont été installés sur la commune (voir Figure 1), visant à modéliser en particulier le bruit routier en trois dimensions.
Si cette solution existe et a été testée, elle ne constitue pas une solution durable. En effet, déployer autant de capteurs à l’échelle du Grand Genève ou de l’Arc Lémanique impliquerait le déploiement de dizaine de milliers de capteurs sur le territoire, ce qui n’est pas tenable en termes écologiques. Cela implique également énormément de manutention et de maintenance.
Des initiatives récentes ont démontré qu'une approche mobile et distribuée du monitoring environnemental permet de produire des données de très haute résolution, notamment via des capteurs embarqués sur des véhicules de transport public ou sur des piétons. Les capteurs environnementaux mobiles offrent ainsi une alternative viable et pertinente car ils permettent de déployer quelques dizaines de capteurs pour couvrir la quasi totalité du territoire plusieurs fois par jour.
Par exemple, le projet CityFeel porté par la Hes·so (voir Figure 2 et Figure 5) a permis de réaliser plus de 2000 km de parcours climatiques urbains.
Le projet GEMO s’inspire également de démarches locales telles que GE-en-vie, le Plan Bruit 2030.
Le projet GEMO s’inscrit par ailleurs dans une série d’initiatives et de stratégies cantonales, notamment :
- Le Plan Directeur Cantonal 2030 (PDCn)
- Le PAMA 2030 (Plan d’Actions pour la Mobilité et l’Accessibilité)
- Le Plan Climat Cantonal, et ses « 10 mesures phares »
- Le Plan Bruit 2030 et la Stratégie cantonale de protection contre le bruit
- Le Pact’Air, Programme d’actions transfrontalier pour la qualité de l’air du Grand Genève
Plusieurs directions publiques sont concernées :
- DT – Département du Territoire
- DDC – Département du Développement économique
- DSPS – Département de la Santé
La coordination avec le SITG permet une interopérabilité des données avec les cartes bioclimatiques, les cartes de bruit et les plateformes de gestion territoriale (voir Figure 3) et une réutilisation des données à des fins de planification urbaine et d’infrastructure verte. En ce sens, le rapport BRUIT 2030 : Stratégie Cantonale de protection contre le bruit adopté par le Conseil d’Etat le 26 mai 2021 invitait dans ses conclusions à “développer un observatoire du bruit à l’échelle territoriale par la mise en place d’un réseau de stations de mesures permanentes pour collecter les données en matière de paysage sonore, enrichir les cadastres et développer des cartographies”.
3. Suivi des microclimats urbains à Genève
Les microclimats urbains – notamment les zones de chaleur excessive, les poches de pollution ou les couloirs sonores – varient fortement à l’échelle de la rue ou du quartier, en fonction de la topographie, de la végétation, de la densité bâtie et des flux de mobilité. Ces phénomènes sont mal appréhendés par les réseaux de mesure existants.
À ce jour, le Grand Genève ne dispose que de 10 stations fixes pour mesurer la qualité de l’air (voir Figure 4), utilisées notamment par des outils comme Air2G² pour générer des interpolations à l’échelle régionale. Si ces modèles sont utiles à grande échelle, ils n’intègrent pas les micro-variations locales qui déterminent pourtant la qualité de vie à l’échelle de l’espace public.
Des études comme CityFeel (Figure 5) ou Flatburn (Figure 5) ont démontré que des capteurs mobiles, embarqués sur des véhicules ou portés par des individus, permettent d’atteindre une granularité spatio-temporelle fine et de révéler des phénomènes invisibles autrement : îlots de chaleur piéton, corridors sonores, zones de stagnation des polluants, etc.
Dans cette perspective, GEMO vise à :
- Capturer les variations locales de température, de bruit et de pollution selon l’heure, le jour et l’usage de l’espace public,
- Cartographier dynamiquement les situations d’inconfort ou de surexposition,
- Outiller les politiques publiques pour mieux cibler les investissements climatiques et sanitaires.
Le croisement des données environnementales et de mobilité constitue ici un atout clé : il permet non seulement d’identifier les inégalités d’exposition, mais aussi d’évaluer les effets structurels du réseau urbain, de la topographie, des aménagements ou des flux de transport.
Dans cette logique, GEMO s’inscrit dans une approche open-source et réplicable, compatible avec les plateformes existantes (SITG, Visualiseur Bruit-Air) et les priorités cantonales en matière de transition environnementale, de santé publique et de développement territorial.
4. Composantes du projet
4.1 Co-conception technologique
Le dispositif GEMO repose sur le développement de capteurs embarqués modulaires, conçus pour être open-source, peu coûteux et robustes. Le développement sera réalisé en partenariat avec des laboratoires académiques (EPFL, HEPIA, HES-SO) ou des startups locales, dans une logique de frugalité technologique et de transfert de savoir-faire.
Chaque module pourra mesurer en continu plusieurs paramètres environnementaux clés :
- Qualité de l’air : dioxyde d’azote (NO₂), dioxyde de carbone (CO₂), particules fines (PM2.5),
- Conditions microclimatiques : température ambiante, humidité relative,
- Nuisances sonores : intensité du bruit ambiant (dBA), fréquence dominante (spectre simplifié).
Les capteurs seront conçus pour permettre une maintenance minimale, une calibration standardisée, et une intégration rapide sur différents supports (véhicules, mobiliers, piétons).
4.2 Déploiement mobile
La première phase prévoit le déploiement du système sur une flotte pilote de véhicules TPG (bus ou trams). Ce choix se justifie par :
- leur fréquence de passage
- leur couverture territoriale continue,
- leur intégration dans l’espace public.
Une étude préalable du potentiel de “sensing coverage” sera réalisée, en s’appuyant sur des données GPS de circulation et des travaux existants de modélisation du potentiel de détection (cf. Figure 5).
L’objectif est d’optimiser le nombre de capteurs nécessaires pour une couverture maximale du territoire, tout en identifiant les zones à faible densité de passage nécessitant des compléments (par ex. via vélos-cargos, tournées de voirie ou porteurs piétons).
4.3 Infrastructure de données
Les capteurs transmettront les données en temps réel ou semi-réel, via des protocoles adaptés aux contraintes de bande passante :
- LoRaWAN pour les données légères,
- LTE (4G) pour les envois plus volumineux ou ponctuels.
Les données seront stockées sur des serveurs sécurisés (localement ou en cloud souverain) et traitées via des pipelines open-source intégrant :
- géoréférencement dynamique,
- correction des biais (vitesse, altitude, anomalies),
- enrichissement avec des couches SIG existantes (zones bruitées, végétalisation, etc.).
Les données seront également interopérables avec le SITG (Système d'information du territoire genevois) et pourront être exposées via API publiques et tableaux de bord sécurisés.
4.4 Visualisation et exploitation
Les données collectées seront valorisées sous la forme de :
- Cartes dynamiques multi-indicateurs temps-réel (air, bruit, chaleur),
- Dashboards interactifs pour les partenaires publics (DT, DSPS, OCEV),
- Participer aux Indices de marchabilité et cyclabilité selon les niveaux de confort environnemental,
- Alertes environnementales locales (zones chaudes, pics sonores).
GEMO prévoit également une restitution participative à travers :
- des ateliers citoyens et des démonstrations en ville,
- une intégration directe dans les futures plateformes de l’Observatoire Santé-Mobilité
5. Portage et financement
Le projet GEMO est porté par le Bureau Action Située, actif dans les domaines de l’analyse territoriale, de la mobilité durable et de l’accompagnement de projets publics sur la transition environnementale. Le Bureau assure la coordination scientifique, technique et partenariale du projet.
Financements envisagés
GEMO pourrait s’inscrire dans une logique de co-financement public-privé, mobilisant des dispositifs de soutien à l’innovation, à la transition écologique et à l’expérimentation urbaine :
- Fondation MODUS (soutien à l’Observatoire Santé-Mobilité)
- Innosuisse (Projets d’innovation pour start-up, Projet d’innovation avec partenaire de mise en oeuvre, BRIDGE Proof of Concept)
- Projets d’innovation SDSC
Durée et modularité
Le projet est structuré en phases successives, permettant d’avancer par étapes tout en assurant des résultats concrets à chaque jalon. Cette approche modulaire garantit une souplesse d’exécution en fonction des montants de financement obtenus.
Durée globale estimée : 24 mois
Phasage détaillé
Phase | Durée | Objectifs clés |
1. Prototype technologique | 12 mois | Conception, tests, calibration et validation des capteurs |
2. Déploiement pilote | 3 mois | Installation sur véhicules TPG, collecte initiale de données |
3. Traitement et interfaces | 6 mois | Pipeline, intégration au SITG, visualisations et API |
4. Restitution & valorisation | 3 mois | Ateliers, dashboards, publications, intégration à l’observatoire |
6. Scalabilité
Le projet GEMO peut facilement devenir :
Et plus.
7. Partenaires potentiels
8. Références
- EPFL PERL. 2023. Refroidissement des îlots de chaleur urbains à Genève. https://www.epfl.ch/labs/perl/fr/refroidissement-des-ilots-de-chaleur-urbains-a-geneve/
- GE21. 2024. Le canton peut faire face à ses îlots de chaleur urbains grâce à son arborisation. https://ge21.ch/...
- Heidi.news. 2022. La ville de Genève doit se réinventer face aux îlots de chaleur. https://www.heidi.news/...
- MétéoSuisse. 2023. Chaleur en milieu urbain. https://www.meteosuisse.admin.ch/...
- République et Canton de Genève. 2020. Climat – Îlots de chaleur à 4h00 (P3-2020). https://sitg.ge.ch/...
- République et Canton de Genève. 2020. Cartes bioclimatiques de Genève. https://www.ge.ch/actualite/...
- République et Canton de Genève. 2023. Plan Bruit 2030. https://www.ge.ch/document/bruit-2030...
- République et Canton de Genève. 2023. Document 24911 : stratégie cantonale contre le bruit. https://www.ge.ch/document/24911/...
- République et Canton de Genève. 2024. 10 mesures phares pour le climat : îlots de chaleur. https://www.geneve.ch/...
- Senseable City Lab. 2022. Clocking Emissions. https://senseable.mit.edu/clocking-emissions/
- Senseable City Lab. 2023. Flatburn. https://senseable.mit.edu/flatburn/
- Seto, K. C., Parnell, S., & Elmqvist, T. 2022. Urbanization, Biodiversity and Ecosystem Services. Springer.
- Becerra, T. A., Wilhelm, M., & Ritz, B. 2020. Monitoring exposure: Environmental sensors and health research. Annual Review of Public Health, 41: 55–71.
- Georgescu, M. 2021. Urban adaptation and climate modeling: State of the science. Current Climate Change Reports, 7(1): 1–14.
- Gallinelli, P., et al. 2017. Profil PET d'une marche climatique à Genève. https://www.ge.ch/document/23298/annexe/0
- GE-en-vie. 2024. Projet participatif d’observation environnementale. https://www.ge-en-vie.ch
- Tribune de Genève. 2024. Mille capteurs de bruit à Carouge. https://www.tdg.ch/...
- Grand Genève. 2017. Diagnostic du territoire transfrontalier – Annexe 3. https://www.grand-geneve.org/...
- République et Canton de Genève. 2023. Document 23298 : Bruit routier. https://www.ge.ch/document/23298/telecharger
- Santamouris. 2013. Energy and climate in the urban built environment
- PACT’Air, https://www.grand-geneve.org/wp-content/uploads/pactair-plaquette-bd.pdf